Dans la crise économique et sociale actuelle, les nouvelles organisations de gauche telles que Syriza ou que le Front de Gauche ont donné de l'espoir à des millions de travailleurs ordinaires. Beaucoup d'anticapitalistes sont restés quelque peu méfiants. N'avons-nous pas vu, au cours de l'histoire, de très nombreux exemples de partis très à gauche qui finissent par servir le plus abjectement imaginable les seuls intérêts du grand capital? Mais dans la situation actuelle, où les révolutionnaires ne représentent qu'une petite minorité de la masse des salariés, disent d'autres, on ne peut pas rester à l'écart d'un mouvement qui exige de grands changements politiques ("une révolution fiscale" pour commencer par le slogan de la manifestation à Paris du 1er décembre 2013).
Le potentiel et les limites de ces partis qui exigent un renversement des priorités de la société, sans se référer au renversement de l'Etat, la dissolution de l'armée ou la mise en place de nouvelles structures de démocratie populaire, doivent être débattus. L'article suivant, que nous avons publié il y a quelques années, analysent la tradition marxiste de la revendication d'un "gouvernement ouvrier" sous le capitalisme, comme une étape vers la prise de pouvoir des masses.
Le gouvernement ouvrier et le mouvement
socialiste : De Marx à la révolution russe
De toutes les questions qui intéressent le mouvement ouvrier, celle de
la conquête du pouvoir politique est la plus épineuse. Elle a fourni une
littérature politique abondante depuis Marx à aujourd’hui et renferme des
débats toujours polémiques.
Chez aucun des classiques, y compris Lénine, le problème du pouvoir d’État
ne se résume à une question tactique, même si les formes de la prise du pouvoir
(insurrection armée, guerre populaire prolongée, victoire politique pacifique…)
sont étroitement liées à la conjoncture politique et aux particularités
nationales.
Les travailleurs doivent-ils emprunter des voies pacifiques ou employer
la violence pour détruire l’État bourgeois ? Telle est la première
question à laquelle Marx s’est attaché de répondre. Dans le discours de La Haye
(1872), il évoque la possibilité – mais la possibilité seulement – d’une
expropriation légale des capitalistes, à la suite d’une victoire électorale du
parti socialiste dans les pays qu’il désigne comme particulièrement
démocratiques (Angleterre, États-Unis, Hollande), tout en maintenant la
nécessité de la conquête du pouvoir et son utilisation contraignante vis-à-vis
des anciennes classes dominantes. Elle pouvait exceptionnellement,
suggérait-il, ne pas se parer des formes de la violence révolutionnaire. Cette
discussion autour d’une voie pacifique au socialisme, réduite ou non à une voie
parlementaire, va nourrir les débats de la social-démocratie avant la première
guerre mondiale.
L’affaire Millerand…
La première expérience de participation gouvernementale d’un
représentant du mouvement ouvrier aura lieu en France, au moment de l’affaire
Dreyfus. La crise de la bourgeoisie en France à la fin du dix-neuvième siècle
est criante : la
République vacille devant les coups de butoir de la réaction
militariste (le boulangisme), de la répétition des scandales de corruption
(Crise de Panama) et des débuts de l’affaire Dreyfus. Inquiète face à la montée
du mouvement ouvrier et la violence des grèves et des répressions qu’elles
suscitent, la bourgeoisie ne trouve d’autre solution que de tenter de corrompre
les représentants du parti ouvrier en les détournant de leurs buts. Le
socialiste Alexandre Millerand entre en 1899 dans le ministère de l’homme
politique républicain de gauche, Waldeck-Rousseau, un gouvernement qui compte
Gallifet, l’un des bourreaux de la
Commune de Paris. Jaurès salue alors « cet acte courageux d’entrer dans la forteresse du gouvernement
bourgeois ».
À cette politique approuvée par la deuxième internationale va être
accolée l’étiquette du ministérialisme qui engendre une crise profonde du
mouvement socialiste. Ainsi, Jules Guesde la condamne sans détours en
fustigeant les compromissions avec la bourgeoisie : « Parti d’opposition, nous sommes, parti d’opposition nous devons
rester, n’envoyant les nôtres dans les parlements et autres assemblées
électives qu’à l’état d’ennemis pour combattre la classe ennemie et ses
différents représentants politiques ; parti de révolution et par
conséquent, d’opposition à l’État bourgeois, s’il est de son devoir d’arracher
toutes les réformes susceptibles d’améliorer les conditions de la classe
ouvrière, il ne saurait en aucune circonstance par la participation au pouvoir
central, par le vote du budget, par les alliances avec les partis bourgeois,
fournir aucun des moyens pouvant prolonger la domination de la classe
ennemie. »
Le mouvement socialiste en France va alors se scinder en deux
partis : le Parti socialiste de France, sous l’égide de Jules Guesde, est
guidé par les principes de la lutte des classes ; le Parti socialiste
français, sous l’impulsion de Jaurès, approuve l’entrée de Millerrand au
gouvernement tout en développant des références floues à la lutte des classes.
La vision de Jaurès est typique de l’étapisme qui considère que l’évolution de
la société capitaliste vers le socialisme générerait une étape intermédiaire au
cours de laquelle le pouvoir politique devrait être exercé conjointement par le
prolétariat et la bourgeoisie. Cependant ces divisions ne sont qu’artificielles
car les élus des deux tendances considèrent comme un objectif commun la
révolution, alors que leur activité quotidienne se limite au programme minimum.
… et les critiques de Rosa Luxemburg
Rosa Luxemburg était d’accord sur un point avec Jaurès en ce que le
parti socialiste devait occuper toutes les positions qu’on lui laissait en
ajoutant que ce devait être des positions à partir desquelles il était possible
de développer la lutte de classe. Mais elle maintenait fermement l’idée qu’il
devait rester un parti d’opposition irréductible à la bourgeoisie. C’est
pourquoi elle distinguait nettement le parlement et le gouvernement du fait que
ce dernier forme un groupe d’action homogène, celui exercé dans le cadre des
limites inhérentes de l’Etat bourgeois : « Dans la société bourgeoise, l’essence de la social-démocratie
lui dicte le rôle de parti d’opposition, elle ne doit devenir parti de
gouvernement que sur les ruines de l’État bourgeois »[i].
(1)
Dans son ouvrage consacré à la vie de Rosa Luxemburg, le
révolutionnaire allemand Paul Frölich délimite les frontières de la
social-démocratie avec le pouvoir de la bourgeoisie : « C’est pourquoi le représentant de l’extrême radicalisme
bourgeois peut éventuellement coopérer au gouvernement avec la pire réaction.
Mais un adversaire de principe de l’ordre existant doit nécessairement échouer
dès la première tentative d’opposition au sein du gouvernement, ou bien il doit
remplir quotidiennement les fonctions nécessaires au maintien de la machine d’État
bourgeois et par là même, cesser d’être un socialiste. Un social-démocrate qui
vise en tant que membre du gouvernement à réaliser des réformes sociales, tout
en soutenant globalement l’État bourgeois réduit dans le meilleur des cas son
socialisme à la démocratie bourgeoise ou à une politique ouvrière
bourgeoise. »[ii]
(2) Ce qui n’exclut pas des alliances avec la petite-bourgeoisie, classe qui a
plus d’un but commun avec le prolétariat. Dans ce cas, le prolétariat doit
conserver une position hégémonique en débordant « systématiquement les aspirations des partis
petits-bourgeois ».
Dans des périodes de crise de la bourgeoisie, le radicalisme se sent
toujours prêt à un renversement réactionnaire mais il n’est pas enclin à
dépasser ce qu’il est strictement nécessaire pour apaiser les masses. Les
actions de compromis sont toujours motivées par la politique dite du
« moindre mal » agitée comme un chiffon face à la menace réelle ou
supposée d’un retour de bâton de la réaction politique ou militariste. Cette
attitude masque complètement les oppositions sociales entre les classes.
Au total, Rosa Luxemburg observait que cette politique tant vantée pour
son réalisme se révélait être la moins efficace qui soit puisque la classe
ouvrière, liée à la participation du parti socialiste à la politique
gouvernementale, ne pouvait plus faire le poids de sa propre puissance. La
participation au gouvernement entraîna des divisions majeures et une paralysie
profonde à l’intérieur du mouvement ouvrier de telle sorte qu’il se développa
au sein d’une fraction importante de la classe ouvrière une hostilité virulente
contre toute politique et tout parlementarisme, en semant de ce fait des
illusions anarcho-syndicalistes.
La première guerre mondiale et la stratégie de rupture
léniniste
La première guerre mondiale démontra toute l’incurie de la
social-démocratie, enlisée jusqu’aux genoux dans des combinaisons électorales,
franchement coupée des possibilités de diriger les luttes de la classe
ouvrière. Mais ironie de l’histoire, c’est Jaurès, naguère compromis dans des
alliances bourgeoises qui fustigea la guerre et fut pour cela assassiné tandis
que Jules Guesde entrait quelques jours après le déclenchement du conflit comme
ministre d’État dans un gouvernement d’union sacrée. Or, sans politique, ayant
rompu tout lien avec les masses, celui-ci ne pouvait jouer que le rôle d’un
otage de la bourgeoisie pour couvrir de son crédit la guerre de rapine et de
pillage de l’impérialisme français. Cette trahison ne fut pas, cependant, un
cas isolé. Beaucoup de dirigeants sociaux-démocrates (dont Millerand lui-même) soutinrent
l’Union sacrée avec leur propre État bourgeois.
La révolution qui éclate en Russie en février 1917 surprend tout
le monde. Elle surgit comme « une insurrection anonyme », un
soulèvement totalement spontané des masses. Mais elle va vite poser la question,
éminemment politique, du gouvernement ouvrier. La grève se généralise un peu
partout, elle revêt un caractère insurrectionnel, des mutineries se produisent
au sein de l’armée, des actes de fraternisations entre soldats et ouvriers se
développent, le tsar abdique, débouchant sur la formation d’un gouvernement
provisoire. Ainsi donc se crée très rapidement une période de double pouvoir :
« D’un côté, le gouvernement
provisoire, formé des parlementaires représentants de la bourgeoisie, coiffant
les débris de l’appareil d’État tsariste, s’efforçant simultanément de rebâtir
un appareil d’État et d’endiguer la révolution ; de l’autre, les soviets
de députés ouvriers élus dans les usines et les quartiers des villes,
véritables parlements ouvriers, dépositaires de la volonté des travailleurs,
qui les désignent et les renouvellent. Entre ces deux pouvoirs, s’affrontaient
deux conceptions de la démocratie, démocratie représentative et démocratie
directe et, derrière elles, deux classes, la bourgeoisie et le prolétariat, que
la chute du tsarisme laissait désormais face à face. »[iii]
(3)
Alors que les mencheviks et les socialistes prennent la majorité du
premier congrès pan-russe des soviets, ils ne veulent pas récupérer le pouvoir
pour eux. Ils ne conçoivent qu’un pouvoir bourgeois. D’ailleurs, les
bolcheviks, dans leur majorité, considèrent que le rôle des soviets est de
soutenir le gouvernement provisoire, dans la mesure où il s’oriente vers les
intérêts de la classe ouvrière. Ils se rallient à la formule de Staline :
le gouvernement provisoire avait pour fonction de consolider les conquêtes de
février.
Or, par l’intermédiaire d’un télégramme adressé aux premiers bolcheviks
qui revenaient en Russie, Lénine s’oppose farouchement à cette politique :
« notre tactique : méfiance
absolue, aucun soutien à ce nouveau gouvernement ». Il reproche dans
l’ébauche de ses fameuses thèses d’avril au gouvernement provisoire « d’avoir arraché le pouvoir au
prolétariat »[iv](4), tout en mettant en cause la nature
politique et sociale de la nouvelle équipe ministérielle constituée « par les représentants/…/ de la classe
des grands propriétaires fonciers capitalistes et de la bourgeoisie ».
Celle-ci, en raison de ses alliances internationales, n’était rien d’autre « qu’un simple commis de la firme
milliardaire Angleterre-France dans la guerre actuelle ».
Lénine somme donc les mencheviks et les socialistes – qui participent
au gouvernement provisoire – de rompre avec la bourgeoisie en lançant le mot
d’ordre : « Dehors les
ministres capitalistes ! ». Il définit comme « tâche actuelle » du prolétariat révolutionnaire de
Russie « de faire passer le pouvoir
d’État des mains du gouvernement des grands propriétaires fonciers et des
capitalistes/…/ dans celles du gouvernement des ouvriers et des paysans ».
C’est la première fois que Lénine énonce la perspective d’un
gouvernement de ce type. Il vitupère ses amis qui, plutôt que de démasquer le
gouvernement provisoire, exigent de lui certains engagements, politique à ses
yeux facteur d’un grand nombre d’illusions. Or le refus des dirigeants
socialistes de rompre avec la bourgeoisie, d’œuvrer pour que « tout le pouvoir [revienne] aux
soviets », dans lesquels ils forment une majorité absolue, deviendra
un élément capital dans la conscience des masses. Peu à peu, les bolcheviks y
deviendront majoritaires.
Dans la foulée de la
révolution d’octobre…
Les termes du débat sur la participation des
communistes à des gouvernements ouvriers seront renouvelés par les apports
contenus dans les textes du mouvement communiste révolutionnaire, issus des
Congrès de l’Internationale communiste (IC). Tirant les leçons de l’expérience
encore limitée du mouvement révolutionnaire à l’Est, en Hongrie et en
Allemagne, ces documents indiquent de manière détaillée les conditions
politiques de la participation des communistes à un gouvernement ouvrier. On
doit citer certains des passages les plus significatifs :
« À la
coalition ouverte ou masquée bourgeoise et social-démocrate, les communistes
opposent le front unique de tous les ouvriers et la coalition politique et
économique de tous les partis ouvriers contre le pouvoir bourgeois pour le
renversement définitif de ce dernier. Dans la lutte commune de tous les
ouvriers contre la bourgeoisie, tout l’appareil d’Etat devra tomber dans les mains du gouvernement ouvrier et les
positions de la classe ouvrière en seront renforcées. » [v](5)
Mais le gouvernement ouvrier, tel qu’il est défini
par l’IC, ne se contente pas d’appliquer un programme de lois. Il doit
d’urgence régler le problème du pouvoir réel :
« Le
programme le plus élémentaire d’un gouvernement ouvrier doit consister à armer
le prolétariat, à désarmer les organisations bourgeoises
contre-révolutionnaires, à instaurer le contrôle de la production, à faire
tomber sur les riches le principal fardeau des impôts et à briser la résistance
de la bourgeoisie contre-révolutionnaire. […]» [vi]
(6)
Quel gouvernement ouvrier ?
Les thèses de l’IC distinguaient plusieurs types de
« gouvernement ouvrier » dont certains ne constituaient que des « gouvernements camouflés de coalition
entre la bourgeoisie et les leaders ouvriers contre-révolutionnaires »
(hypothèse du gouvernement social-démocrate, Allemagne). Cette modalité de
gouvernement n’est acceptée par la bourgeoisie qu’en cas d’affaiblissement de son
pouvoir. Elle le fait dans le but de dissimuler au prolétariat la nature
véritable du caractère de classe de l’État ou pour détourner ses assauts
révolutionnaires en intégrant des dirigeants ouvriers corrompus au sein de
l’état-major gouvernemental. Dans ces cas, les communistes se refuseront à
participer à ces gouvernements de collaboration de classe, et démasqueront sans
cesse devant les masses le caractère réel de ces faux « gouvernements
ouvriers ».
Cette attitude ne signifie pas pour autant s’opposer
de façon sectaire aux travailleurs qui soutiennent ‘leur’gouvernement ouvrier. Les
thèses précisent : « Les communistes
sont prêts à marcher aussi avec les ouvriers, social-démocrates, chrétiens sans
parti, syndicalistes, etc., qui n’ont pas encore reconnu la nécessité de la
dictature du prolétariat. Les communistes sont disposés dans certaines
circonstances et sous certaines garanties, à appuyer un gouvernement ouvrier
non communiste. Mais les communistes devront à tout prix expliquer à la classe
ouvrière que sa libération ne pourra être assumée que par la dictature du
prolétariat. » [vii]
(7)
D’autres formules de gouvernement ouvrier auxquelles
peuvent participer les communistes ne parviennent pas encore, selon les thèses
de l’IC, à établir la dictature du prolétariat. Elles sont conçues comme une
forme transitoire nécessaire pour le passage à la dictature et peuvent fournir
une base de départ pour la conquête de cette dictature (formules du
gouvernement ouvrier-paysan, du gouvernement ouvrier avec participation
communiste). Le seul gouvernement ouvrier dans lequel les communistes peuvent
participer pleinement n’existe dans sa forme la plus achevée que sous la
direction de ceux-ci. Seul le « renversement » du pouvoir de la
bourgeoisie – et donc de son appareil d’Etat – la mise en place d’un pouvoir
politique des masses ouvrières et opprimées en armes, est de nature à créer les
conditions politiques réalisant la transition vers une société socialiste.
Cet
aspect des thèses de l’IC nous semble plutôt confus. Les cinq formules de
gouvernement ouvrier envisagées et leurs conséquences nous semblent
contradictoires et procèdent parfois à des glissements auxquels nous ne pouvons
nous identifier. Le garde-fou que cite l’IC, la direction du Parti communiste
comme critère de jugement de la valeur « ouvrière » et
« révolutionnaire » d’un gouvernement ne nous semble pas valide. Même
le meilleur des partis communistes au pouvoir ne pourrait, s’il n’a pas réalisé
une insurrection en s’appuyant sur des organes de pouvoir des salariés et des
opprimés, aboutir à l’établissement d’un gouvernement ouvrier et, par la suite,
à un État ouvrier.
L’exemple de la Hongrie en 1919
De
telles constructions, en partie théorisées dans les thèses de l’IC, peuvent
mener à de graves erreurs, dont un exemple dramatique est fourni par la dictature
provisoire de Bela Kun en Hongrie en 1919. Cette expérience illustre de manière
éclatante que la résistance de la bourgeoisie peut se révéler plus importante
que prévue, au moment où une vague révolutionnaire succédait à la révolution de
1917. Ainsi, après l’écroulement de l’Allemagne et de l’Autriche, on pouvait
penser qu’une déferlante révolutionnaire allait se produire de telle sorte que
l’on crut que des révolutions prolétariennes s’enchaîneraient immédiatement aux
révolutions bourgeoises.
De
fait, en Hongrie et en Bavière, le prolétariat parvint pour quelque temps à
prendre le pouvoir. La résolution du deuxième congrès de l’IC, intitulée
« Manifeste du congrès : le monde capitaliste et l’IC », traite
avec une certaine lucidité politique les causes de son échec. Tout d’abord,
elle prend acte du fait que la
Hongrie appartient à la catégorie des petits États bourgeois
récemment créés et constituant des sous-produits de l’impérialisme. Celui-ci a su
les dominer au moyen des banques, des chemins de fer, du monopole des charbons
afin de les condamner à souffrir de difficultés économiques et sociales
inadmissibles et de querelles sanglantes.
Or,
en dépit du joug de l’impérialisme, le prolétariat hongrois avait réalisé un
certain exploit pour « s’arracher du
chaos politique et économique de l’Europe centrale et entrer dans la voie de la
fédération soviétiste »[viii] (8)
mais ce qui fut une réelle tentative héroïque a été « étouffé par la réaction capitaliste coalisée, au moment où,
trompé par les partis qui le dirigent, le prolétariat des grandes puissances
européennes s’est trouvé incapable de remplir son devoir envers la Hongrie socialiste et
envers lui-même ».[ix] (9) En
fin de compte, le gouvernement de Budapest fut « renversé avec l’aide des social-traîtres qui après s’être
maintenus au pouvoir pendant trois ans et demi, ont été [à leur tour]
jetés » du gouvernement qu’ils avaient formé. La répression de la
bourgeoise fut impitoyable et légalisa la pratique de ce qu’on a appelé la
terreur blanche.
Cet
échec a eu des conséquences importantes au sein de l’IC. L’éphémère République
hongroise des conseils a été citée comme le premier exemple d’une prise de
pouvoir pacifique. Comme le décrit M. Gabor, « le gouvernement des soviets de Hongrie n’avait pas la
possibilité de mettre sur pied une véritable armée rouge, et cela parce qu’il
ne pouvait pas dissoudre l’armée de volontaires du gouvernement précédent/…/
[L] a dissolution de cette armée était impossible, parce que les soviets
hongrois étaient entourés de tous côtés d’ennemis armés jusqu’aux dents/…/ ».[x] (10) Le
prolétariat avait pris le pouvoir, de façon temporaire, sans pouvoir dissoudre l’armée
de l’ancien gouvernement bourgeois.
L’expérience
hongroise de fusion des communistes et des socialistes fut inscrite en tant que
référence de rigueur dans les rangs de l’IC, et invoquée au Congrès de
fondation du Parti communiste italien en 1921 afin de justifier les sévérités
de la ligne gauchiste de rupture avec d’authentiques révolutionnaires. Elle
devait servir jusqu’à la formation du Front populaire à accréditer la thèse désastreuse
du « social-fascisme », selon laquelle la social-démocratie était
« l’aile gauche du fascisme ».
JLR
publié dans Socialisme International N° 14
[i] Rosa
Luxemburg, Réforme sociale ou révolution, page …Editions Spartacus
[ii] Paul
Frölich, Rosa Luxemburg, page 95, L’Harmattan
[iii] Pierre
Broué, Le parti bolchevique, Editions de Minuit, page 80-81
[iv] Lénine,
Œuvres vol. 23, p. 321
[v] Résolution sur la tactique
de l’IC, 4ème congrès, p.158, textes réunis par Pierre Broué,
François Maspero, 1978.
[viii] Résolution du 2ème
congrès de l’IC, « Manifeste du congrès : le monde capitaliste et
l’IC », page ….textes réunis par Pierre Broué, François Maspero, 1978
[x] M. Gabor, publié par
l’organe du Comité exécutif de l’IC, éd.Rote Fahne, 1919 (Die Kommunistische
Internationale, n°7-8, novembre-décembre 1919
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