dimanche 1 décembre 2013

Quelles sont les limites du Front de Gauche et de Syriza? La tradition marxiste et le "gouvernement ouvrier".



Dans  la crise économique et sociale actuelle, les nouvelles organisations de gauche telles que Syriza ou que le Front de Gauche ont donné de l'espoir à des millions de travailleurs ordinaires. Beaucoup d'anticapitalistes sont restés quelque peu méfiants. N'avons-nous pas vu, au cours de l'histoire, de très nombreux exemples de partis très à gauche qui finissent par servir le plus abjectement imaginable les seuls intérêts du grand capital? Mais dans la situation actuelle, où les révolutionnaires ne représentent qu'une petite minorité de la masse des salariés, disent d'autres, on ne peut pas rester à l'écart d'un mouvement qui exige de grands changements politiques ("une révolution fiscale" pour commencer par le slogan de la manifestation à Paris du 1er décembre 2013).

Le potentiel et les limites de ces partis qui exigent un  renversement des priorités de la société, sans se référer au renversement de l'Etat, la dissolution de l'armée ou la mise en place de nouvelles structures de démocratie populaire, doivent être débattus. L'article suivant, que nous avons publié il y a quelques années, analysent la tradition marxiste de la revendication d'un "gouvernement ouvrier" sous le capitalisme, comme une étape vers la prise de pouvoir des masses.



Le gouvernement ouvrier et le mouvement socialiste : De Marx à la révolution russe


De toutes les questions qui intéressent le mouvement ouvrier, celle de la conquête du pouvoir politique est la plus épineuse. Elle a fourni une littérature politique abondante depuis Marx à aujourd’hui et renferme des débats toujours polémiques.

Chez aucun des classiques, y compris Lénine, le problème du pouvoir d’État ne se résume à une question tactique, même si les formes de la prise du pouvoir (insurrection armée, guerre populaire prolongée, victoire politique pacifique…) sont étroitement liées à la conjoncture politique et aux particularités nationales.


Les travailleurs doivent-ils emprunter des voies pacifiques ou employer la violence pour détruire l’État bourgeois ? Telle est la première question à laquelle Marx s’est attaché de répondre. Dans le discours de La Haye (1872), il évoque la possibilité – mais la possibilité seulement – d’une expropriation légale des capitalistes, à la suite d’une victoire électorale du parti socialiste dans les pays qu’il désigne comme particulièrement démocratiques (Angleterre, États-Unis, Hollande), tout en maintenant la nécessité de la conquête du pouvoir et son utilisation contraignante vis-à-vis des anciennes classes dominantes. Elle pouvait exceptionnellement, suggérait-il, ne pas se parer des formes de la violence révolutionnaire. Cette discussion autour d’une voie pacifique au socialisme, réduite ou non à une voie parlementaire, va nourrir les débats de la social-démocratie avant la première guerre mondiale.


L’affaire Millerand…

La première expérience de participation gouvernementale d’un représentant du mouvement ouvrier aura lieu en France, au moment de l’affaire Dreyfus. La crise de la bourgeoisie en France à la fin du dix-neuvième siècle est criante : la République vacille devant les coups de butoir de la réaction militariste (le boulangisme), de la répétition des scandales de corruption (Crise de Panama) et des débuts de l’affaire Dreyfus. Inquiète face à la montée du mouvement ouvrier et la violence des grèves et des répressions qu’elles suscitent, la bourgeoisie ne trouve d’autre solution que de tenter de corrompre les représentants du parti ouvrier en les détournant de leurs buts. Le socialiste Alexandre Millerand entre en 1899 dans le ministère de l’homme politique républicain de gauche, Waldeck-Rousseau, un gouvernement qui compte Gallifet, l’un des bourreaux de la Commune de Paris. Jaurès salue alors « cet acte courageux d’entrer dans la forteresse du gouvernement bourgeois ».


À cette politique approuvée par la deuxième internationale va être accolée l’étiquette du ministérialisme qui engendre une crise profonde du mouvement socialiste. Ainsi, Jules Guesde la condamne sans détours en fustigeant les compromissions avec la bourgeoisie : « Parti d’opposition, nous sommes, parti d’opposition nous devons rester, n’envoyant les nôtres dans les parlements et autres assemblées électives qu’à l’état d’ennemis pour combattre la classe ennemie et ses différents représentants politiques ; parti de révolution et par conséquent, d’opposition à l’État bourgeois, s’il est de son devoir d’arracher toutes les réformes susceptibles d’améliorer les conditions de la classe ouvrière, il ne saurait en aucune circonstance par la participation au pouvoir central, par le vote du budget, par les alliances avec les partis bourgeois, fournir aucun des moyens pouvant prolonger la domination de la classe ennemie. »


Le mouvement socialiste en France va alors se scinder en deux partis : le Parti socialiste de France, sous l’égide de Jules Guesde, est guidé par les principes de la lutte des classes ; le Parti socialiste français, sous l’impulsion de Jaurès, approuve l’entrée de Millerrand au gouvernement tout en développant des références floues à la lutte des classes. La vision de Jaurès est typique de l’étapisme qui considère que l’évolution de la société capitaliste vers le socialisme générerait une étape intermédiaire au cours de laquelle le pouvoir politique devrait être exercé conjointement par le prolétariat et la bourgeoisie. Cependant ces divisions ne sont qu’artificielles car les élus des deux tendances considèrent comme un objectif commun la révolution, alors que leur activité quotidienne se limite au programme minimum.


… et les critiques de Rosa Luxemburg

Rosa Luxemburg était d’accord sur un point avec Jaurès en ce que le parti socialiste devait occuper toutes les positions qu’on lui laissait en ajoutant que ce devait être des positions à partir desquelles il était possible de développer la lutte de classe. Mais elle maintenait fermement l’idée qu’il devait rester un parti d’opposition irréductible à la bourgeoisie. C’est pourquoi elle distinguait nettement le parlement et le gouvernement du fait que ce dernier forme un groupe d’action homogène, celui exercé dans le cadre des limites inhérentes de l’Etat bourgeois : « Dans la société bourgeoise, l’essence de la social-démocratie lui dicte le rôle de parti d’opposition, elle ne doit devenir parti de gouvernement que sur les ruines de l’État bourgeois »[i]. (1)


Dans son ouvrage consacré à la vie de Rosa Luxemburg, le révolutionnaire allemand Paul Frölich délimite les frontières de la social-démocratie avec le pouvoir de la bourgeoisie : « C’est pourquoi le représentant de l’extrême radicalisme bourgeois peut éventuellement coopérer au gouvernement avec la pire réaction. Mais un adversaire de principe de l’ordre existant doit nécessairement échouer dès la première tentative d’opposition au sein du gouvernement, ou bien il doit remplir quotidiennement les fonctions nécessaires au maintien de la machine d’État bourgeois et par là même, cesser d’être un socialiste. Un social-démocrate qui vise en tant que membre du gouvernement à réaliser des réformes sociales, tout en soutenant globalement l’État bourgeois réduit dans le meilleur des cas son socialisme à la démocratie bourgeoise ou à une politique ouvrière bourgeoise. »[ii] (2) Ce qui n’exclut pas des alliances avec la petite-bourgeoisie, classe qui a plus d’un but commun avec le prolétariat. Dans ce cas, le prolétariat doit conserver une position hégémonique en débordant « systématiquement les aspirations des partis petits-bourgeois ».


Dans des périodes de crise de la bourgeoisie, le radicalisme se sent toujours prêt à un renversement réactionnaire mais il n’est pas enclin à dépasser ce qu’il est strictement nécessaire pour apaiser les masses. Les actions de compromis sont toujours motivées par la politique dite du « moindre mal » agitée comme un chiffon face à la menace réelle ou supposée d’un retour de bâton de la réaction politique ou militariste. Cette attitude masque complètement les oppositions sociales entre les classes.


Au total, Rosa Luxemburg observait que cette politique tant vantée pour son réalisme se révélait être la moins efficace qui soit puisque la classe ouvrière, liée à la participation du parti socialiste à la politique gouvernementale, ne pouvait plus faire le poids de sa propre puissance. La participation au gouvernement entraîna des divisions majeures et une paralysie profonde à l’intérieur du mouvement ouvrier de telle sorte qu’il se développa au sein d’une fraction importante de la classe ouvrière une hostilité virulente contre toute politique et tout parlementarisme, en semant de ce fait des illusions anarcho-syndicalistes.


La première guerre mondiale et la stratégie de rupture léniniste

La première guerre mondiale démontra toute l’incurie de la social-démocratie, enlisée jusqu’aux genoux dans des combinaisons électorales, franchement coupée des possibilités de diriger les luttes de la classe ouvrière. Mais ironie de l’histoire, c’est Jaurès, naguère compromis dans des alliances bourgeoises qui fustigea la guerre et fut pour cela assassiné tandis que Jules Guesde entrait quelques jours après le déclenchement du conflit comme ministre d’État dans un gouvernement d’union sacrée. Or, sans politique, ayant rompu tout lien avec les masses, celui-ci ne pouvait jouer que le rôle d’un otage de la bourgeoisie pour couvrir de son crédit la guerre de rapine et de pillage de l’impérialisme français. Cette trahison ne fut pas, cependant, un cas isolé. Beaucoup de dirigeants sociaux-démocrates (dont Millerand lui-même) soutinrent l’Union sacrée avec leur propre État bourgeois.


La révolution qui éclate en Russie en février 1917 surprend tout le monde. Elle surgit comme « une insurrection anonyme », un soulèvement totalement spontané des masses. Mais elle va vite poser la question, éminemment politique, du gouvernement ouvrier. La grève se généralise un peu partout, elle revêt un caractère insurrectionnel, des mutineries se produisent au sein de l’armée, des actes de fraternisations entre soldats et ouvriers se développent, le tsar abdique, débouchant sur la formation d’un gouvernement provisoire. Ainsi donc se crée très rapidement une période de double pouvoir : « D’un côté, le gouvernement provisoire, formé des parlementaires représentants de la bourgeoisie, coiffant les débris de l’appareil d’État tsariste, s’efforçant simultanément de rebâtir un appareil d’État et d’endiguer la révolution ; de l’autre, les soviets de députés ouvriers élus dans les usines et les quartiers des villes, véritables parlements ouvriers, dépositaires de la volonté des travailleurs, qui les désignent et les renouvellent. Entre ces deux pouvoirs, s’affrontaient deux conceptions de la démocratie, démocratie représentative et démocratie directe et, derrière elles, deux classes, la bourgeoisie et le prolétariat, que la chute du tsarisme laissait désormais face à face. »[iii] (3)


Alors que les mencheviks et les socialistes prennent la majorité du premier congrès pan-russe des soviets, ils ne veulent pas récupérer le pouvoir pour eux. Ils ne conçoivent qu’un pouvoir bourgeois. D’ailleurs, les bolcheviks, dans leur majorité, considèrent que le rôle des soviets est de soutenir le gouvernement provisoire, dans la mesure où il s’oriente vers les intérêts de la classe ouvrière. Ils se rallient à la formule de Staline : le gouvernement provisoire avait pour fonction de consolider les conquêtes de février.


Or, par l’intermédiaire d’un télégramme adressé aux premiers bolcheviks qui revenaient en Russie, Lénine s’oppose farouchement à cette politique : « notre tactique : méfiance absolue, aucun soutien à ce nouveau gouvernement ». Il reproche dans l’ébauche de ses fameuses thèses d’avril au gouvernement provisoire « d’avoir arraché le pouvoir au prolétariat »[iv](4), tout en mettant en cause la nature politique et sociale de la nouvelle équipe ministérielle constituée « par les représentants/…/ de la classe des grands propriétaires fonciers capitalistes et de la bourgeoisie ». Celle-ci, en raison de ses alliances internationales, n’était rien d’autre « qu’un simple commis de la firme milliardaire Angleterre-France dans la guerre actuelle ».


Lénine somme donc les mencheviks et les socialistes – qui participent au gouvernement provisoire – de rompre avec la bourgeoisie en lançant le mot d’ordre : « Dehors les ministres capitalistes ! ». Il définit comme « tâche actuelle » du prolétariat révolutionnaire de Russie « de faire passer le pouvoir d’État des mains du gouvernement des grands propriétaires fonciers et des capitalistes/…/ dans celles du gouvernement des ouvriers et des paysans ».


C’est la première fois que Lénine énonce la perspective d’un gouvernement de ce type. Il vitupère ses amis qui, plutôt que de démasquer le gouvernement provisoire, exigent de lui certains engagements, politique à ses yeux facteur d’un grand nombre d’illusions. Or le refus des dirigeants socialistes de rompre avec la bourgeoisie, d’œuvrer pour que « tout le pouvoir [revienne] aux soviets », dans lesquels ils forment une majorité absolue, deviendra un élément capital dans la conscience des masses. Peu à peu, les bolcheviks y deviendront majoritaires.


Dans la foulée de la révolution d’octobre…

Les termes du débat sur la participation des communistes à des gouvernements ouvriers seront renouvelés par les apports contenus dans les textes du mouvement communiste révolutionnaire, issus des Congrès de l’Internationale communiste (IC). Tirant les leçons de l’expérience encore limitée du mouvement révolutionnaire à l’Est, en Hongrie et en Allemagne, ces documents indiquent de manière détaillée les conditions politiques de la participation des communistes à un gouvernement ouvrier. On doit citer certains des passages les plus significatifs :



« À la coalition ouverte ou masquée bourgeoise et social-démocrate, les communistes opposent le front unique de tous les ouvriers et la coalition politique et économique de tous les partis ouvriers contre le pouvoir bourgeois pour le renversement définitif de ce dernier. Dans la lutte commune de tous les ouvriers contre la bourgeoisie, tout l’appareil d’Etat devra tomber dans les mains du gouvernement ouvrier et les positions de la classe ouvrière en seront renforcées. » [v](5)



Mais le gouvernement ouvrier, tel qu’il est défini par l’IC, ne se contente pas d’appliquer un programme de lois. Il doit d’urgence régler le problème du pouvoir réel :



« Le programme le plus élémentaire d’un gouvernement ouvrier doit consister à armer le prolétariat, à désarmer les organisations bourgeoises contre-révolutionnaires, à instaurer le contrôle de la production, à faire tomber sur les riches le principal fardeau des impôts et à briser la résistance de la bourgeoisie contre-révolutionnaire. […]» [vi] (6)




Quel gouvernement ouvrier ?



Les thèses de l’IC distinguaient plusieurs types de « gouvernement ouvrier » dont certains ne constituaient que des « gouvernements camouflés de coalition entre la bourgeoisie et les leaders ouvriers contre-révolutionnaires » (hypothèse du gouvernement social-démocrate, Allemagne). Cette modalité de gouvernement n’est acceptée par la bourgeoisie qu’en cas d’affaiblissement de son pouvoir. Elle le fait dans le but de dissimuler au prolétariat la nature véritable du caractère de classe de l’État ou pour détourner ses assauts révolutionnaires en intégrant des dirigeants ouvriers corrompus au sein de l’état-major gouvernemental. Dans ces cas, les communistes se refuseront à participer à ces gouvernements de collaboration de classe, et démasqueront sans cesse devant les masses le caractère réel de ces faux « gouvernements ouvriers ».



Cette attitude ne signifie pas pour autant s’opposer de façon sectaire aux travailleurs qui soutiennent ‘leur’gouvernement ouvrier. Les thèses précisent : « Les communistes sont prêts à marcher aussi avec les ouvriers, social-démocrates, chrétiens sans parti, syndicalistes, etc., qui n’ont pas encore reconnu la nécessité de la dictature du prolétariat. Les communistes sont disposés dans certaines circonstances et sous certaines garanties, à appuyer un gouvernement ouvrier non communiste. Mais les communistes devront à tout prix expliquer à la classe ouvrière que sa libération ne pourra être assumée que par la dictature du prolétariat. » [vii] (7)



D’autres formules de gouvernement ouvrier auxquelles peuvent participer les communistes ne parviennent pas encore, selon les thèses de l’IC, à établir la dictature du prolétariat. Elles sont conçues comme une forme transitoire nécessaire pour le passage à la dictature et peuvent fournir une base de départ pour la conquête de cette dictature (formules du gouvernement ouvrier-paysan, du gouvernement ouvrier avec participation communiste). Le seul gouvernement ouvrier dans lequel les communistes peuvent participer pleinement n’existe dans sa forme la plus achevée que sous la direction de ceux-ci. Seul le « renversement » du pouvoir de la bourgeoisie – et donc de son appareil d’Etat – la mise en place d’un pouvoir politique des masses ouvrières et opprimées en armes, est de nature à créer les conditions politiques réalisant la transition vers une société socialiste.


Cet aspect des thèses de l’IC nous semble plutôt confus. Les cinq formules de gouvernement ouvrier envisagées et leurs conséquences nous semblent contradictoires et procèdent parfois à des glissements auxquels nous ne pouvons nous identifier. Le garde-fou que cite l’IC, la direction du Parti communiste comme critère de jugement de la valeur « ouvrière » et « révolutionnaire » d’un gouvernement ne nous semble pas valide. Même le meilleur des partis communistes au pouvoir ne pourrait, s’il n’a pas réalisé une insurrection en s’appuyant sur des organes de pouvoir des salariés et des opprimés, aboutir à l’établissement d’un gouvernement ouvrier et, par la suite, à un État ouvrier.



L’exemple de la Hongrie en 1919



De telles constructions, en partie théorisées dans les thèses de l’IC, peuvent mener à de graves erreurs, dont un exemple dramatique est fourni par la dictature provisoire de Bela Kun en Hongrie en 1919. Cette expérience illustre de manière éclatante que la résistance de la bourgeoisie peut se révéler plus importante que prévue, au moment où une vague révolutionnaire succédait à la révolution de 1917. Ainsi, après l’écroulement de l’Allemagne et de l’Autriche, on pouvait penser qu’une déferlante révolutionnaire allait se produire de telle sorte que l’on crut que des révolutions prolétariennes s’enchaîneraient immédiatement aux révolutions bourgeoises.



De fait, en Hongrie et en Bavière, le prolétariat parvint pour quelque temps à prendre le pouvoir. La résolution du deuxième congrès de l’IC, intitulée « Manifeste du congrès : le monde capitaliste et l’IC », traite avec une certaine lucidité politique les causes de son échec. Tout d’abord, elle prend acte du fait que la Hongrie appartient à la catégorie des petits États bourgeois récemment créés et constituant des sous-produits de l’impérialisme. Celui-ci a su les dominer au moyen des banques, des chemins de fer, du monopole des charbons afin de les condamner à souffrir de difficultés économiques et sociales inadmissibles et de querelles sanglantes.



Or, en dépit du joug de l’impérialisme, le prolétariat hongrois avait réalisé un certain exploit pour « s’arracher du chaos politique et économique de l’Europe centrale et entrer dans la voie de la fédération soviétiste »[viii] (8) mais ce qui fut une réelle tentative héroïque a été « étouffé par la réaction capitaliste coalisée, au moment où, trompé par les partis qui le dirigent, le prolétariat des grandes puissances européennes s’est trouvé incapable de remplir son devoir envers la Hongrie socialiste et envers lui-même ».[ix] (9) En fin de compte, le gouvernement de Budapest fut « renversé avec l’aide des social-traîtres qui après s’être maintenus au pouvoir pendant trois ans et demi, ont été [à leur tour] jetés » du gouvernement qu’ils avaient formé. La répression de la bourgeoise fut impitoyable et légalisa la pratique de ce qu’on a appelé la terreur blanche.



Cet échec a eu des conséquences importantes au sein de l’IC. L’éphémère République hongroise des conseils a été citée comme le premier exemple d’une prise de pouvoir pacifique. Comme le décrit M. Gabor, « le gouvernement des soviets de Hongrie n’avait pas la possibilité de mettre sur pied une véritable armée rouge, et cela parce qu’il ne pouvait pas dissoudre l’armée de volontaires du gouvernement précédent/…/ [L] a dissolution de cette armée était impossible, parce que les soviets hongrois étaient entourés de tous côtés d’ennemis armés jusqu’aux dents/…/ ».[x] (10) Le prolétariat avait pris le pouvoir, de façon temporaire, sans pouvoir dissoudre l’armée de l’ancien gouvernement bourgeois.



L’expérience hongroise de fusion des communistes et des socialistes fut inscrite en tant que référence de rigueur dans les rangs de l’IC, et invoquée au Congrès de fondation du Parti communiste italien en 1921 afin de justifier les sévérités de la ligne gauchiste de rupture avec d’authentiques révolutionnaires. Elle devait servir jusqu’à la formation du Front populaire à accréditer la thèse désastreuse du « social-fascisme », selon laquelle la social-démocratie était « l’aile gauche du fascisme ».

JLR 
publié dans Socialisme International N° 14







[i] Rosa Luxemburg, Réforme sociale ou révolution, page …Editions Spartacus

[ii] Paul Frölich, Rosa Luxemburg, page 95, L’Harmattan

[iii] Pierre Broué, Le parti bolchevique, Editions de Minuit, page 80-81

[iv] Lénine, Œuvres vol. 23, p. 321

[v] Résolution sur la tactique de l’IC, 4ème congrès, p.158, textes réunis par Pierre Broué, François Maspero, 1978.

[vi] Ibid

[vii] Ibid

[viii] Résolution du 2ème congrès de l’IC, « Manifeste du congrès : le monde capitaliste et l’IC », page ….textes réunis par Pierre Broué, François Maspero, 1978

[ix] Op. cité


[x] M. Gabor, publié par l’organe du Comité exécutif de l’IC, éd.Rote Fahne, 1919 (Die Kommunistische Internationale, n°7-8, novembre-décembre 1919

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